Bobby Jones et la philosophie

Bryan Lecomte
9 min readJul 28, 2018

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Sa vie studieuse où les fairways sont des aventures.

Le golf est merveilleusement corporel. A chacune de mes parties, c’est un peu de ma peau que je laisse sur ces clubs.

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Très tôt je compris que ces magnifiques fairways avaient deux fontions, la principale : celle de receuillir nos balles et accepter d’être dépossédé d’un futur divot afin que la balle poursuive sa route. Les faiways sont généreux ! Je compris également qu’ils sont à notre écoute, ils sont le socle de conversations fraternelles, paternelles ou encore amoureuses. J’y ai emmené des amis, de la famille et quelques personnes qui avaient mon admiration.

Les premières semaines j’ai dévoré tous les livres et magazines de golf que je trouvais et ce qui me marqua le plus se sont trois choses : mon premier Augusta à la télévision avec la victoire de Mike Weir (j’aime les gauchers pour leur geste si équilibré), le film La légende de Bagger Vance et celui de Bobby Jones quelques jours plus tard. Tous trois mettant en avant les qualités humaines et golfiques d’un même joueur : BOBBY JONES.

Après avoir lu sur lui, tout un tas de questions m‘ont longtemps trotées dans la tête. Savait-il jeune qu’il deviendrait un si grand joueur ? Pourquoi n’a t-il jamais voulu passer pro ? Pourquoi vouloir absolument rester amateur ? Quelle était la raison de son arrêt alors qu’il était au sommet ? Comment peut-on être si déterminé sur le parcours et décider d’arrêter ce pourquoi nous avons travaillé si durement, ce pourquoi nous sommes faits ?

Est-ce que, comme le présuppose Nabokov, les hommes qui rêvent tôt s’offrent une pré-connaissance de ce que l’avenir leur réserve et donc une dose de confiance infini que les autres n’ont pas ? Est-ce donc cela le secret de Bobby Jones : rêver et y croire depuis toujours ?

Surnommé “Le Mozart du golf” il arrêta sa carrière à 28 ans avec 23 victoires dont 7 majeurs en 1930 pour se consacrer à sa carrière d’avocat, à sa famille et à Dieu. Aujourd’hui, Rory a 29 ans , Dustin a 34 ans et il reste 3 ans à Spieth et Thomas pour parvenir à l’exploit. Mais pourquoi arrêter là ? Lui qui à 14 ans participait à son premier US Amateurs, lui qui avait la réputation d’être un joueur colérique, qui lançait ses clubs et jurait sur le parcours avait alors fini par réussir à dompter ce caractère pour devenir l’emblême de l’élégance chez les golfeurs.

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J’ai alors imaginé une partie de golf avec lui, un départ vers 17h sur l’Augusta, son terrain, en plein été, où la fraicheur du vent vient effleurer nos avant-bras excités par les prochains coups à jouer.

Start 5:00 pm Hole 1 — Tea Olive

“Ici demeurent des dieux dont je n’ai pas besoin de connaître le nom, et qui se perdent comme des arbres dans la forêt, dans le divin en soi.” Jünger

Bobby Jones : Sous mes pas, c’est pourtant la même terre, et au-dessus de ma tête, brille partout le même soleil avec ses étoiles et ses nuages. Néanmoins, c’est ici que je me sens le mieux. J’ai créé ce parcours avec Alister McKenzie en 1933 alors que ce n’était qu’un petit parcours laissé à l’abandon. Nous avons tout recréer afin qu’il corresponde au parcours rêvé dans nos sommeils. Le parcours manquait d’âme et d’empreintes. Notre imagination a comblé ces vides. A cette époque, une infinité de parcours se formaient dans la hâte et l’affolement. Je préférais y prendre mon temps pour qu’une fois ouvert, il soit splendide.

BL : Vous ne pouviez nous donner un plus beau parcours.. Excusez mon impatience mais j’aimerais directement en venir à la question qui me préoccupe tant : pourquoi avoir arrêté si tôt ? Pourquoi n’avez-vous pas continué pour gagner encore plus de trophées et conforter votre légende ?

B.Jones : Vous savez, tout choix de vie est un pari. Ils peuvent être probabiliste mais il y a une part d’incontrôlabe et de hasard dans le choix. Le calcul ne sera jamais rationnel. Et cela, vous êtes d’accord avec moi, c’est ce qui caractérise également chaque coup de golf. Et bien , c’est ce qui m’a plus dans ce sport. J’ai pris le risque de m’investir, d’y consacrer des journées entières et aujourd’hui ce pari je l’ai réussi. J’ai gagné 23 tournois en 53 participations, dont 4 US Open et 3 British Open. Je suis satisfait de cela. A présent, mon autre pari c’est de me consacrer à la fois à mon cabinet d’avocat, à être un bon père et à être un bon mari. C’est maintenant cela que je veux réussir … et c’est plus compliqué que le golf !

Puis tu sais, je crois que chez la plupart des gens, c’est justement la peur de se disperser qui les prive de leurs meilleures forces. Le golf ne doit pas être toute votre vie. Je n’ai eu aucun problème de passer définitivement du golf à mon cabinet. D’autres combats m’y attendent, ils seront plus judiciaires que golfiques mais ils restent des combats à remporter et j’y mettrai la même volonté que sur un fairway.

(Bobby Jones a obtenu son diplôme de génie mécanique au Georgia Institue of Technologie, puis celui de littérature britannique à Harvard et enfin réussi son examen au barreau après un an de droit)

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B.L: Une fois vous avez dit : “ Tout jeune, je demandais chaque jour à Dieu de me donner un petit morceau de fairway à jouer afin de me laisser m’y exprimer.” Vous arrive-t-il encore aujourd’hui d’en faire la demande ?

B.Jones : Le golf m’a tout appris : la concentration, la volonté, le lâcher prise, la confiance en soi, l’acceptation, l’entrainement, la gagne, la défaite, et donc qui je suis en tant qu’homme. Je ne demande plus cela chaque jour mais j’en reviens très souvent au golf et surtout à mes clubs. Je veux pouvoir les toucher, ressentir ce qu’ils me procurent. Je peux parfois aller simplement dans mon jardin, prendre mon fer 8 et faire quelques swings dans le vide. J’ai des souvenirs de 1000 parties dans ces clubs et cela me procure la même chair de poule à chaque fois.

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“Cet étrange comme on finit toujours par s’en remettre aux objets.”

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C’est en cela que j’aime dire que le golf est merveilleusement corporel ! A chacune de mes parties c’était un peu de ma peau que j’ai laissé sur ces grips.(Photo : Byron Nelson)

B.L: Comment décreririez-vous l’aspect mental idéal à atteindre pour être un bon joueur ?

B.Jones : D’abord, je dirais tout simplement que le joueur doit désirer sincèrement la victoire que ce soit face au parcours, face à ses adversaires ou face à lui même; voir les trois en même temps ! Ensuite, le golf est fait de tout un tas de paradoxes. D’après mon expérience, pour être un bon joueur :

“il faut être déterminé, mais pas obsessionnel, précis mais pas perfectionniste. Il devra être analytique, intuitif, confiant, humble et jouer en contrôle mais aussi être instinctif. Il devra également se relacher sans être mou. Il faut pouvoir passer d’un contrôle volontaire au plus parfait lacher prise…” (*)

Ton cerveau ne doit pas intervenir, laisse le corps naturellement réagir à la cible. Durant toutes mes parties, j’ai essayé de swinguer le plus librement possible, l’esprit vide, sans aucune tentative de contrôle. Il faut sentir. Rousseau disait “je sentis avant de penser”, le sentiment précède la raison. Pour le golf c’est la même chose ! Le swing doit être libre, il est l’énergie impulsée à la balle et c’est tout…

Swinguer librement

B : L’intuition, c’est exactement ça, c’est ce qui fait toute la beauté d’un swing et dieu sait qu’il en faut de l’intuition pour gagner des majeurs… D’ailleurs, êtes-vous retourné jouer St Andrews après votre carrière ?

B. Jones : Oui, en 1936 mon ancien caddie a réservé pour nous un départ à mon nom. Lorsque nous sommes arrivés, des commerces de la ville étaient fermés et des milliers de personnes nous attendaient sur le départ. Ce fût une journée incroyable, il y avait tellement de sourires autour de nous.

A la fin de la journée, j’ai trouvé important de ne partir pas avant que j’eusse pu regarder le 18ème trou suffisamment.

Les MORRIS ont donné une âme à cet endroit. Tom Jr, mort à 24 ans, devait être le compagnon idéal pour jouer ici. Et j’imagine encore Tom père bricolait dans sa boutique à côté du 18ème green. J’aime à me le représenter sur sa table de travail avec mes clubs en main.

En fait, faites comme les Morris. Choisissez-vous un objectif et acharnez-vous jusqu’à ce qu’ils se réalise. N’allez pas dormir sans but et prenez soin de vos passions car elles sont le “vent de l’âme”( Montaigne). Sans passion nous tombons dans la paressse. Par quoi croyez-vous que Tiger Woods est animé quand tous les matins il se lève à 5h30 pour aller taper des balles seul, sur le practice de chez lui en Floride ? Il veut battre les 18 majeurs de Jack Nicklaus et tant qu’il n’aura pas réussi, il ne s’arrêtera pas. Qu’est-ce qui anime Gary Player, venant d’une famille pauvre de Johannesbourg, à marcher 2h tous les matins pour aller à l’école avec son club de golf en main ? Quant à Seve, il ratait les cours pour taper son fer 3 sur la plage pendant des heures. Ou encore, qu’est-ce qui donna l’énergie à Tom Watson , 60 ans, d’être leader du British Open ici à St Andrews le dimanche ? La passion ! Faites de vos passions des alliées.

Faites de vos passions des alliées ! B.Jones

Moi : En 1945, vous vous engagez dans l’armée auprès du quartier général d’Eisenhower. Lieutenant-colonel, vous travaillez dans l’équipe de renseignement pour le futur débarquement de Normandie. Malheureusement, trois ans plus tard on vous diagnostic une syringomyélie — une maladie de la moelle épinière — qui vous diminue peu à peu et vous oblige à vous déplacer en canne puis en fauteuil roulant. Alors vous qui êtes un fervent croyant, en avez-vous voulu à Dieu pour cela ?

B.Jones : Je te répondrai la même réponse que j’ai faite à Alistair Cook en 1965 : “J’ai toujours joué la balle où elle se trouvait.” L’enjeu, c’est de dire oui à la vie. Il faut vouloir ce que l’on vit. Au golf c’est pareil ! Tu sais, Nietzsche le dit bien, se plaindre du désagréable c’est souffrir deux fois. Alors la maladie je l’ai acceptée, tout autant que ma balle à 100 mètres du drapeau au milieu du fairway dans un divot. Il faut savoir accepter.

Je dois m’en aller à présent mon ami…

Nous quittons le passé pour le temps qui dure.

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Bobby Jones s’éteint à l’age de 69 ans. Il restera à tout jamais le symbole même de l’élégance et du talent dans le golf.

Bon golf à tous.

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Bryan Lecomte

”Nous sommes les lieux où nous avons été. “ J.Harrison