Albert Camus & Bob Marley.
“Dans la vie, il n’existe pas de classe pour les débutants, c’est tout de suite le plus difficile qu’on exige de chacun.” Rilke
Peut-on forcer quelqu’un à être libre ?
Je réfléchissais très souvent, assis dans la rue de ma petite ville de Dréan en Algérie, à cette question ainsi posée par mes pensées. Je les usais d’ailleurs, ces pensées, à force de chercher, de déblayer, de grater ces contraintes dans ma tête qui, je le croyais, m’empêcher de trouver mes réponses. Celles qui, une fois révélées, brillent en nous telle une évidence. Ces réponses qui deviennent si claires, si limpides .. Mais pour connaître cette sensation, il faut faire des efforts , “on n’a pas rien sans rien” me disait ma grand-mère. Cette formule s’appliquait-elle à des choses aussi abstraites que celle de liberté ? Exemple : “travaille Camus et tu auras un bon job”. Là c’est concret, je l’imagine bien. Tandis que cette notion de liberté contrainte n’était ni concrète ni palpable. Bref, je devais l’imaginer. C’est un peu comme ce problème connu qui veut qu’il soit plus facile de dessiner un objet de 65 faces que de se le représenter mentalement. Au final, le mental a ses limites qu’un simple dessin transcende..
Je n’ai pas eu l’opportunité d’échanger quelques mots avec Bob Marley alors qu’il aurait été j’en suis sûr, un compagnon de soirées grandioses. Vous imaginez, un petit écrivain comme moi et la plus grande star reggae de l’histoire discutant d’injustice, de liberté, de petites amies et de majijuana. Je me serais surement laissé tenter par une latte ou deux tout en l’écoutant fredonner Could you be love. Ca aurait été merveilleux.
Né d’une union entre un capitaine blanc — en réalité un contre-maître dans les plantations, il le découvrit plus tard — de 50 ans et d’une mineure noire, Robert Nasta Marley est dès sa naissance le symbole d’une confrontation historique et sociale. On évolue en corrélation avec son héritage disait-on. On peut faire le choix de grandir en opposition à son passé ou alors on peut l’épouser et en voir les bons côtés. B.Marley était donc métisse, c’est-à-dire trop noir pour être accepté par les blancs et trop blanc pour être accepté par les noirs; quand j’étais moi aussi dans le même cas. Pourtant, j’ai aimé mon Algérie et ma misère quand il a chéri sa Jamaïque natale et sa simplicité de vie. Je nous ai même trouvé de nombreux rêves communs..
L’injustice
On a souvent fait de mon travail, une défense de l’Algérie à la fois tiraillée par le colonialisme et par le pauvreté extrême du peuple. Pourtant, j’y ai été heureux. Qui peut se targuer de vivre sous la beauté du soleil toute son enfance ? “Un soleil qui préserve de l’envie”. La jalousie ne faisait pas partie de notre vie, elle n’était même jamais évoquée. Il nous fallait un peu d’eau sur nos pieds, du soleil au-dessus de nos têtes et un ballon de foot pas trop dur pour ne pas abîmer nos orteils, et accessoirement nos chaussures, afin de recommencer le lendemain jusqu’à l’épuisement.
On me fit également le héros “des sans-voix”. Il est vrai, j’ai grandi avec ma grand-mère, bruyante et autoritaire, qui parfois me corrigeait. Dans notre maison vivaient aussi mon oncle, handicapé, et ma mère adorée, enfouit dans ses souvenirs et dans un mutisme, qui dit-on, est commun aux petits gens. Les “sans-voix” dit-on parlent peu et sont plus simples dans leur propos, plus clairs. J’ai mis du temps à le comprendre car plus jeune, j‘en voulais à ma famille de vivre dans ce silence. C’était un silence qui me dérangeait, me rendait bruyant. Finalement, en y regardant mieux j’y ai trouvé des vertus. Le silence permet de réfléchir mais il dégage aussi quelque chose de puissant, d’intense. Quand on parle peu, nos gestes sont importants. Ils sont méticuleux, précis et comme les mots, ils sont rapidement observés avec bienveillance. Mon oncle, dans sa simplicité, aimait tout, n’importe quel événement ou objet était une source de joie et de contemplation pour lui. Ma mère quant à elle, ne m’a jamais dit “je t’aime” mais j’ai toujours su qu’elle m’aimait profondément par ses gestes d’amour. Elle restait tous les matins assise à la même fenêtre, à regarder les mêmes personnes jusqu’à son propre fils partir à l’école. Elle me regardait comme si c’était ma première journée d’école.
La misère est comme une forteresse sans pont-levis, sans échappatoire, sans aide mais je l’ai toujours exprimé sans rancoeur. Il n’y a pas de misérabilisme dans mes écrits.
BOB. est davantage dans une démarche — mais qui se rejoignent. Quoi de plus beau que d’aider son pays, voir un continent tout entier (l’Afrique) quand on a le pouvoir de le faire par simple fait de chanter.. En étant, la 1ère star issue du Tiers-monde, il a intégré une dose de panafricanisme dans le divertissement mondial.
Il reçoit la médaille de la paix à l’ONU après un concert de 8h qui a permis de réconcilier deux opposants politiques légendaires en Jamaïque. Il se donne pour mission qu’avec sa musique, il pourra adoucir les inégalités de traitements dans son pays car peu importe quelle soit ton milieu social, tous les jamaïcains écoutaient Bob Marley. Ils devaient alors être possible de les faire danser et chanter ensemble que ce soit en concert mais aussi dans la rue, dans les bars, autour de l’herbe. Il a été le symbole d’union de tout un peuple.
J’ai lu quelque part que Bob lisait la Bible tous les jours, que dans sa grande maison loin de Kingston, où vivaient femmes, enfants, amis et cages de foot, il aimait se faire le prêcheur d’un soir. Puis le lendemain, c’était le tour de quelqu’un d’autre. Il logeait dans Dieu un amour sincère et respectueux. Il avais en retour des attentes toutes aussi importantes ! Il rêvaient pour sa communauté. Dans la Genèse, Dieu promet à Abraham, père d’Isaac et de Jacob, un retour à la Terre promise; c’est-à-dire au sens de Marley, non Jérusalem mais une terre idéale où tout le monde serait égaux et où tout rêve serait réalisable. C’est ce qu’il souhaitait atteindre à la fin de sa vie — le mouvement Rastafari demande d’ailleurs le rapatriement de leur peuple en Ethiopie, terre du Seigneur Haïlé Selassié.
De mon côté, je n’ai jamais réussi à être aussi croyant. Je n’ai jamais eu de réponse de Dieu, ni de demande à lui faire en fait. Peut-être que c’est cela justement, il ne faut rien attendre.. j’ai toujours trouvé plus intéressant de “composer avec un monde qui ne parle pas” que d’essayer de discuter avec un homme tiraillé entre 7 milliards de conversations dans une même journée. Qui peut traiter une telle demande ?
Football
“I need it ! Football is freedom !”
Pour Bob, le football était “un art”, “un univers à part entière” qui permettait de faire lien. Je me souviens d’une photo de lui jouant contre les canaris le temps d’une partie amicale en 5vs5 avec deux petits buts. Il avait surpris tout le monde par son jeu de jambes. Son équipe composée d’amis jamaïcains était bonne ! “Ce n’était pas des charclos” déclara l’entraîneur des jaunes.
> Le football aurait causé sa mort.. Une légende veut qu’on lui ait détecté sa tumeur au cerveau après avoir subit une ablation de l’orteil à cause d’une terrible infection au pied dû à ses parties sans baskets.
“Le football, c’est une école de la vie”
C’était la même chose pour moi. On passait des journées entières à jouer au foot. Personne n’aurait pu nous enlever ça. Certains d’entre nous, une fois rentré chez eux, dormaient même avec un ballon pour y nouer “un lien que l’adversaire ne pourrait comprendre”. En fait, aujourd’hui, “ce que je sais de la morale, c’est au foot que je le dois..”. La discipline, la solidarité, l’engagement, le respect.. Je pense que dans la vie, tout se compose de tant et de tant de détails uniques qu’on ne peut rien prévoir. C’est la même chose lors d’un match de football, la préparation ne permet pas de contrer l’imprévisible, comme dans la vie ! A 17 ans, j’ai contracté une tuberculose qui m’a malheureusement obligé à m’éloigner du terrain de l’AS Montpensier mais quand j’ai gagné le Nobel, je me suis fait plaisir en achetant une petite maison à Lourmarin dans le Lubéron. J’y ai passé de nombreux dimanches à regarder les gamins du club jouer à domicile. J’ai d’ailleurs pris soin de sponsoriser leur maillot afin de les rendre encore plus élégants.
Si j’avais dû choisir entre les mots et le foot, j’aurais peut-être choisi le ballon rond…
Reggae
Le Reggae est un double du réel. Parfois, sans art, le réel n’est rien, il n’est pas sublimé. Construisez une place dans un petit quartier, n’y mettez rien de plus que le nécessaire, des bancs, des arbres, un manège, des magasins et regardez ce qu’il s’y passe durant les six premiers mois. A présent, installez une oeuvre, une sculpture de Rodin, une araignée de Louise Bourgeois ou encore un collage de JR et observez le regard des gens. Il va changer. Ce que tu percevais comme une simple place à aujourd’hui prit une tout autre dimension dans ta tête. “Parce que la beauté est une promesse de bonheur” (Stendhal) et que l’art a la puissance de révéler le réel. Les plus grands artistes japonnais d’aujourd’hui construisent des oeuvres au milieu de leurs rizières. C’est la magie de l’art. Le reggae en est un magnifique. Il sublime le réel, il sublime les relations entre individus il met les corps en mouvement.
Je suis un petit algérien qui écrit des livres dans lesquelles je cherche à assembler une suite de mots qui fait sens, où tout mot serait à sa place et où le meilleur serait choisi à chaque fois. Et lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté.
La plupart des gens ne font pas attention à ce qu’ils pensent. Ils s’écoutent, trouvent normal de penser ce qu’ils pensent et ne prennent pas le temps de réfléchir avec recul. C’est ce qu’explique Bob dans ses musiques, ce que tu crois être la norme ne l’est pas, tu peux tout redéfinir. D’abord dans ton atmosphère mentale puis dans tes actions au quotidien. Ne te laisse pas écraser par le poids de la société et des gouvernants. Tu peux choisir d’être maître de toi même.
Pour les rastafariens, la liberté est au sommet de tout. On se doit de créer du possible, de l’action insoumise, d’être en adéquation avec son mode de vie souhaité tout en respectant autrui. Pour éviter tout dogme, ils n’ont d’ailleurs pas de texte propre ni de clergé institué.
Le reggae, c’est un message de paix et de liberté.
Ecole
Bob l’a arrêtée à 14 ans, puis il est parti aux Etats-Unis à sa majorité. Il a rejoins sa mère et travailler chez Chrysler puis il est revenu en Jamaïque chanter. Heureusement ! Vous imaginez un ouvrier dans votre entreprise qui n’est autre que Bob Marley. Quel gâchis !
De mon côté, j’ai eu la chance d’avoir Louis Germain, mon instituteur, qui nous a poussé avec deux de mes amis à passer les concours pour obtenir une bourse et intégrer un bon collège en ville. Depuis, j’ai fait mes classes et j’ai monté petit à petit les étapes. Je le remercie tous les jours.
Mort
Camus, qui détestait la vitesse et encore plus l’idée même de mourir en voiture, dans un “morceau de ferraille”, meurt comme James Dean ou Sagan, dans un bolide lançé a pleine vitessse. Il avait 47 ans quand il a percuté ce platane, assis à côté de Michel Gallimard mort aussi sur le coup. L’éditeur avait insisté pour remonter à Paris avec lui dans sa nouvelle voiture alors que Camus s’était acheté des billets de train.
Il laissa un grand vide dans le monde littéraire français ainsi qu’une oeuvre inachevée Le Premier homme., livre quasi bibliographique.
Bob mourra douloureusement d’une tumeur au cerveau. Il a essayé tous les traitements, il est même parti des mois en centre en Allemagne tester une technique révolutionnaire où il entama de longs mois de chimio (qui ont eu raison de ses dreadlocks assez vite..). Il est mort à 36 ans après un mélonome au gros orteil mal soigné.
Il laissa derrière lui 11 enfants de sept mères différentes. Certains affirment qu’en réalité il en avait 25 car 14 non reconnus ! Tout comme Camus qui a bien profité, ils ont été épanouis dans leur art et en amour..